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« L’ethos est quelque chose d’implicite. Il renvoie à l’épaisseur du métier (Clot 2009), c’est quelque chose qui va sans dire, qui pour fonctionner doit être partagé au sein du périmètre social que sont les apiculteurs ». Ainsi, il garantit, ou peut contribuer à une paix sociale entre apiculteurs. Journées d'Étude Anercea - Neuvy-Sur-Barangeon (Cher) - Février 2022.

L’ethos s’acquiert par ce que l’on appelle la socialisation apicole

« Ça ne se fait pas ». Agnès Fortier et Lucie Dupré, ethnosociologue pour l’une, anthropologue pour l’autre, à l’INRAe, ont souvent entendu cette phrase lors de leurs enquêtes de terrain. Comprendre comment et pourquoi l’apiculture connaît des tensions à propos de l’accaparement des ressources mellifères est leur sujet. La socialisation apicole serait de nature à apaiser le climat.

On n’attache pas une abeille avec une ficelle

« La singularité de l’apiculture vient notamment de la diversité des profils de ceux qui la pratiquent », expose Agnès Fortier, ethnosociologue à l’INRAe. « Mais pas seulement », précisait-elle dans son intervention lors des Journées d’Étude de l’Anercea, organisée à Neuvy- sur-Barangeon (Cher), les 8 et 9 février 2022. « L’ambivalence du statut juridique de l’abeille, qui oscille entre sauvage et domestique, participe au caractère inclassable de cette activité », poursuivait-elle.

Selon Agnès Fortier, ethnosociologue et Lucie Dupré, anthropologue à L'INRAe, le monde apicole traverse une période de mise à l'épreuve. Elles invitent à la structuration du débat autour de l'éthique entre apiculteurs. Journées d'Étude Anercea, Neuvy-Sur-Barangeon (Cher) - février 2022
Selon Agnès Fortier, ethnosociologue et Lucie Dupré, anthropologue à L’INRAe, le monde apicole traverse une période de mise à l’épreuve. Elles invitent à la structuration du débat autour de l’éthique entre apiculteurs. Journées d’Étude Anercea, Neuvy-Sur-Barangeon (Cher) – février 2022

Cette imprécision juridique, quelque peu corrigée au fil du temps, renvoie au fait que l’on ne maîtrise pas cet insecte volant tant du point de vue de l’alimentation que de la reproduction (Philippe Machenay 1993). En précisant que « seules les abeilles logées dans des ruches sont la propriété de l’apiculteur », le législateur a fait un pas vers la normalisation de l’activité. Mais parce que « l’on n’attache pas une abeille avec une ficelle(1) », à ce jour, aucune règle juridique n’est venue cadrer le rapport entre l’apiculteur et les ressources alimentaires nécessaires à ses abeilles. De nombreux apiculteurs apprécient ce « jardin de liberté ».

« L’abeille mange chez les autres »

L’élevage des abeilles repose sur l’utilisation de plantes sauvages et/ou cultivées. Cette alimentation présente la particularité de ne pas être produite par l’apiculteur. « Ici, l’éleveur n’est pas dans une logique de production, mais d’appropriation de la ressource », relève Agnès Fortier. Elle est gratuite au sens où l’apiculteur n’assure pas le processus de production et n’en supporte pas le coût. « On pourrait dire que les abeilles mangent chez les autres », illustre la chercheuse, précisant que « l’activité apicole est plus proche du droit d’usage qui prévalait à l’époque médiévale dans le cadre des activités de cueillette et de pastoralisme que du droit de propriété ».

Longtemps décrit comme un paysan sans terre, l’apiculteur, dont les institutions agricoles ont bien du mal à classer l’activité, est dans une relation de dépendance. Depuis toujours, sa production dépend des autres activités (forestiers, agriculteurs…) et de la ressource naturelle disponible.

L’ethos garant de la paix sociale

Face à une ressource plus ou moins abondante, répartie de manière plus ou moins homogène dans l’espace, le choix des emplacements est une question essentielle en apiculture. Elle fait appel à un travail d’exploration, à une connaissance de l’espace pour identifier des lieux propices qui présentent une ressource suffisamment abondante et diversifiée dans le temps.

Cette compétence, associée à des logiques propres à chaque apiculteur, permet à ces derniers de construire leur territoire apicole. « Ce territoire, qui n’a pas de réalité juridique, est un espace alternatif au monde réglé, au monde des codes, des lois et des interdits (Dominique Le Blanc – 2012 – à propos de l’intérêt du droit d’usage dans le cadre du pastoralisme) […]. Sa création dépend de ce que l’on appelle, en sociologie, la construction sociale », précise Agnès Fortier.

Un contexte de charge animale trop élevé

En fonction de son insertion, et de sa capacité à mobiliser ses réseaux familiaux et/ou amicaux pour dénicher de bons emplacements, l’apiculteur peut construire une sorte de constellation de ruchers.

La sérénité avec laquelle il exploite ces espaces ou se déplace au sein de ceux-ci, dépend alors « de sa capacité à composer avec les acteurs du territoire et, plus encore ces dernières années, avec les autres apiculteurs », souligne l’observatrice.

Effectivement, un climat de tension monte en apiculture. « Nous traversons une période de forte pression sur la ressource », juge Lucie Dupré. Elle argumente : « L’incertitude climatique (précocité, disettes), l’augmentation du nombre d’apiculteurs et du nombre d’abeilles dans les territoires sont les causes de cet état dégradé ou incertain, tant en quantité qu’en qualité. Nous sommes dans un contexte de charge animale trop élevée par rapport à la ressource (à nuancer selon les territoires et les années). En conséquence, l’ambiance est propice à la dégradation du climat social ».

L’engouement pour l’apiculture, et l’arrivée de nouveaux profils, n’arrange rien. Cohabiter semble parfois difficile. Lucie Dupré, anthropologue à l’INRAe, affirme : « L’ethos(2) – principes implicites -, plus que l’éthique – valeurs gravées dans le marbre – ne joue plus son rôle ».

Les pistes de réflexions proposées par les intervenantes, mais surtout celles des apiculteurs participants aux Journées d’Étude sont à retrouver dans … Info-Reines 138

1- Expression formulée par un apiculteur enquêté par Agnès Fortier et Lucie Dupré lors de leurs travaux.

2- « En sociologie, l’Ethos désigne l’espace des valeurs, « l’esprit » qui permet l’adéquation entre [une] pratique et le monde tel qu’il est vu par qui agit », (Jarro 2009).


Extrait d’un article issu des Journées d’Étude de février 2022 à Neuvy-sur-Barangeon (Cher)
Rédigé par Christelle Picaud.

Fin de l’article dans Info-Reines n°138

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