Plus récemment, des scientifiques, en particulier ceux de l’équipe de K. Bienefeld, ont tenté de faire correspondre la signature génétique d’une reine avec ses performances de terrain.

Contrôle des accouplements : une nécessité pour améliorer le cheptel

Le Dr. Jakob Wegener travaille à l’institut de recherches de Hohen-Neuendorf, situé à proximité de Berlin. Il a longtemps collaboré avec le Pr K. Bienefeld. Au cours de sa carrière, J. Wegener s’est intéressé à la reproduction chez l’abeille. Il a notamment mis au point un protocole de cryoconservation du sperme d’abeille. Il était invité aux journées d’études de l’Anercea de février 2022, à Neuvy-sur-Barangeon, pour nous présenter les recherches menées dans son institut, ainsi que l’organisation de la sélection en Allemagne. Les auditeurs ont pu apprécier la qualité de ses deux conférences, tout particulièrement préparées pour les JE, ainsi que ses qualités exceptionnelles de vulgarisateur.

La sélection, telle qu’elle est organisée aujourd’hui en Allemagne, découle d’une situation de crise, née à la fin du XIXième siècle. C’est en effet à cette époque que, pour profiter des miellées précoces, des apiculteurs ont commencé à importer d’autres sous-espèces d’abeilles que l’abeille noire (A. m. mellifera), espèce endémique du nord de l’Europe.

Les croisements entre l’abeille noire et les autres sous-espèces, en particulier avec l’abeille italienne, ont engendré des colonies ayant un comportement de défense très affirmé, particulièrement difficiles à travailler.

La situation était si préoccupante que de gros efforts ont progressivement été entrepris pour remplacer l’abeille « de pays », fortement hybridée, par l’abeille carniolienne (A. m. carnica). Parallèlement c’est vers le milieu du XXe siècle qu’ont été développées en Allemagne les méthodes d’analyse morphométrique permettant d’étudier et de différencier les sous-espèces d’abeilles (voir les travaux de F. Rüttner).

En 1975, l’abeille noire a été considérée comme éradiquée du territoire germanique. Aujourd’hui l’abeille carniolienne se partage le territoire avec l’abeille Buckfast, cependant que des efforts de réintroduction d’abeilles noires à partir des pays voisins sont en cours dans certaines régions.

S’organiser pour limiter l’hybridation

L’apiculture allemande est essentiellement une activité de loisir, la proportion d’apiculteurs professionnels étant assez faible compte tenu de la surface du territoire. La sélection de l’abeille en Allemagne obéit à une organisation très centralisée, avec une branche « carniolienne » et une branche « buckfast » qui veillent toutes deux à limiter autant que possible les hybridations.

Pour y parvenir, ces organisations disposent de territoires réglementés : les stations d’accouplements, disposées sur des îles, ou sur le continent. Les apiculteurs situés en périphérie de ces stations sont incités, ou contraints par la loi, à travailler avec un cheptel compatible avec la station. On dénombre aujourd’hui plusieurs dizaines de stations d’accouplement en Allemagne.

BeeBreed : un outil d’aide à la décision

Malgré l’absence d’objectifs économiques, les apiculteurs allemands sont fortement impliqués dans des travaux d’amélioration de leur abeille. Chaque groupe de sélection suit un protocole centralisé et intègre les données recueillies sur le terrain dans une base de données, nommée « BeeBreed » (www. beebreed.eu).

Cette base de données a été créée à l’institut de Hohen-Neuendorf par le Pr K. Bienefeld, et fonctionne avec une méthode de calcul dérivée de celle utilisée en génétique animale (BLUP), mais appliquée aux particularités du mode de reproduction de l’abeille.

Les mesures de performance (douceur, tenue de cadre, essaimage…), ainsi que le pedigree des reines, sont régulièrement inscrites dans BeeBreed par les apiculteurs. Ces données sont « digérées » par l’algorithme qui en calcule une valeur d’élevage.

Beebreed propose également une valeur d’élevage prédictive selon la lignée mâle avec laquelle les filles d’une reine vont s’accoupler ; ceci permet aux éleveurs de choisir les stations où leurs reines seront fécondées.

Outre les valeurs d’élevage correspondant aux performances des reines, BeeBreed permet d’évaluer le degré de consanguinité des accouplements. Il y a aujourd’hui 2 000 sélectionneurs inscrits dans BeeBreed, représentant 11 sous-espèces, pour un total de 250 000 reines référencées (9 000 reines inscrites en 2021).

L’ADN, une cible de choix pour déterminer les sous-espèces

Les méthodes traditionnelles basées sur les mesures morphométriques ont une limite. Elles ne permettent pas, notamment, de déterminer le degré d’hybridation des reines. C’est pour cette raison qu’elles sont aujourd’hui remplacées par des méthodes d’analyse plus précises, basées sur la lecture des séquences d’ADN de l’abeille.

Étant donné que chaque sousespèce possède sa propre signature génétique, ces techniques permettent d’établir le degré de parenté d’une reine par rapport à un groupe, et en déterminer le taux d’hybridation par un autre groupe. Le coût des analyses génétiques est aujourd’hui supportable pour celui qui souhaite s’impliquer dans un programme de sélection ou de conservation.

Corrélation entre signature génétique et performances ?

Plus récemment, des scientifiques, en particulier ceux de l’équipe de K. Bienefeld, ont tenté de faire correspondre la signature génétique d’une reine avec ses performances de terrain.

Cela nécessite d’augmenter le nombre de repères sur la molécule d’ADN de l’abeille, pour obtenir plus de précision dans les résultats d’analyse. Ces repères appelés SNPs (Small Nucleotide Polymorphism) sont aujourd’hui couramment utilisés pour la sélection de divers animaux de rente.

Comment ça marche ? (illustration 1)

Pour mettre en place le test, il est nécessaire de comparer deux populations d’abeilles dont les performances ont été évaluées sur le terrain, l’une exprimant fortement le caractère étudié, l’autre faiblement.

1. Sélection génomique : estimation de la valeur génétique
d’une reine.

On espère ainsi que les analyses réalisées sur ces deux échantillons vont mettre au jour deux signatures génétiques distinctes, dont l’une pourra prédire la valeur d’une reine pour un caractère donné. Notez qu’il n’est pas nécessaire de tuer la reine pour pratiquer ces analyses, l’analyse de l’ADN présent dans l’alvéole royale (le cocon tissé par la larve) suffit.

L’intérêt de cette technique est de pouvoir se passer du testage de terrain, qui mobilise beaucoup de temps et d’énergie de la part des apiculteurs (il a été estimé à environ 200 € par colonie en Allemagne). Toutefois cette technique a aussi ses limites, imposées par les lois de la nature qui nous rappellent que nombre de caractères qui intéressent l’apiculteur sont le fait de l’expression d’une grande quantité de gènes. L’expression de ces gènes est souvent fortement influencée par l’environnement (note 1). Ainsi, a fortiori si l’on cherche à améliorer conjointement différents caractères dans une lignée d’abeilles, l’analyse approfondie de la génétique de l’abeille ne pourra probablement pas se passer de l’oeil de l’éleveur.

CONTRÔLE DES ACCOUPLEMENTS : NOUVELLES VOIES DE RECHERCHE

Les mesures de performances des colonies sont généralement menées en parallèle sur plusieurs ruchers pour réduire les effets de l’environnement sur l’expression des gènes. De même, les reines en testage devraient avoir été fécondées sur la même zone, de manière à ne pas négliger l’apport de la génétique provenant des mâles (rappelons que 50 % de la génétique d’une ouvrière provient de son père).

Récemment une étude scientifique a mis en évidence la nécessité de contrôler les accouplements pour espérer améliorer les performances de l’abeille1.

Compte tenu de ces difficultés, le laboratoire où travaille J. Wegener cherche des alternatives à l’insémination, ou aux stations de fécondations, qui restent parfois peu accessibles aux éleveurs. Les résultats présentés ci-dessous ont été obtenus en partenariat avec les apiculteurs du Land de Brandebourg et l’association des sélectionneurs de l’abeille noire en Allemagne.

Ils concernent la validation d’une méthode de contrôle des accouplements, dite « au clair de lune », pour tenter de répondre aux questions suivantes :

• les accouplements ont-ils été contrôlés (proportion dans la spermathèque de spermes mâles désirés vs mâles étrangers),

• les reines ont-elles recueilli suffisamment de spermatozoïdes dans leur spermathèque ? (ce qui va conditionner leur longévité),

• peut-on simplifier cette méthode pour la rendre abordable à tout un chacun ?

2. Les ruchettes sont équipées d’une ouverture pilotée à distance par un système électronique (variante non réfrigérée).

La méthode d’accouplement dite « au clair de lune »

Dans la nature, les accouplements ont lieu dans l’après-midi, par beau temps, entre 13 heures et 17 h 30 environ. La technique d’accouplement dite « au clair de lune » demande de contenir dans les ruches mâles et reines sélectionnées jusqu’à 18 heures.

Libérés, ceux-ci et celles-ci vont voler et s’accoupler jusqu’au coucher du soleil, tandis que les mâles jugés indésirables seront rentrés dans leur colonie. Cependant, la claustration peut-être fatale aux reines et aux mâles, particulièrement par temps chaud. C’est pourquoi les éleveurs qui pratiquent cette méthode conservent les nucléis au frais pendant la journée, souvent dans un bâtiment, voire une cave (pour un exemple, lire IR n° 132).

Afin de rendre cette technique accessible à tous, J. Wegener a tenté d’établir une méthode de travail qui ne nécessite pas de manutention ni d’installations lourdes, de type hangar ou autre.

Schéma expérimental

MATÉRIEL – Les reines ont été introduites dans des nucléis « Kirchainer », qui sont restés en place sur le rucher. Les ruchettes de fécondation ainsi que les ruches à mâles étaient équipées d’une ouverture pilotée à distance par un système électronique (ouverture déclenchée entre 18 heures et 21 heures) (photo 2).

(Article complet à lire dans d’Info-Reines n°138)

1. Pour plus de détails sur l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes, je vous invite à lire l’article rédigé à partir de la conférence de M. Guichard (génétique quantitative, IR n°130, pages 12 à 16).

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