Alors que le sort des agriculteurs et celui des apiculteurs sont étroitement liés, l’Anercea cultive le terrain de la concertation entre ces deux univers. Ensemble, l’Anercea fait le pari qu’il sera possible de relever le double défi d’une production suffisante, pour répondre aux impératifs économiques, et respectueuse de l’environnement, pour des raisons de durabilité. Journées d'Etude novembre 2023.

Apiculteur et agriculteur : « Des synergies sont possibles si les gens se parlent »

L’élevage en apiculture, mais également l’abeille dans sa globalité, sont et restent au cœur de l’activité de l’Anercea. Sur les dernières éditions des Journées d’Étude, le conseil d’administration a proposé des temps de réflexion autour de thématiques complémentaires à l’élevage. Au programme des JE de novembre [ndlr : 2023], à Clermont-Ferrand : « Collaboration entre agriculteurs et apiculteurs : l’agroécologie peut-elle rassembler ? ».

La durabilité pour raison

Alors que le sort des agriculteurs et celui des apiculteurs sont étroitement liés, l’association cultive le terrain de la concertation entre ces deux univers. Ensemble, l’Anercea fait le pari qu’il sera possible de relever le double défi d’une production suffisante, pour répondre aux impératifs économiques, et respectueuse de l’environnement, pour des raisons de durabilité. À Clermont-Ferrand, pendant une heure trente, Christophe Durand, nouvellement retraité, associé jusqu’à récemment de la SCEA « Les deux Leyrennes » (Limousin), Gilles Simonneaux, agriculteur associé de la ferme « Les petits Chapelais » (Ille-et-Vilaine), Soizic Guimier, chargée d’accompagnement pour le label « Bee Friendly » et les deux représentants de l’Anercea, Thierry Cocandeau, « La Boit’O Zabeilles » (Mayenne) et Éric Dufour, « Les Ruchers de la Courcelle » (Limousin) ont bousculé les idées reçues et cherché à mieux comprendre les attentes et les besoins des uns et des autres.
Mercredi 15 novembre, en début d’après-midi, à défaut d’être dans la co-construction – la prochaine étape, chacun l’espère –, l’ambiance était au partage, à l’écoute, à la compréhension… Loin des caricatures qui trop souvent mènent dans une impasse, apiculteurs et agriculteurs ont cherché des points communs… semble-t-il plus nombreux qu’il n’y paraît.

Bee Friendly, un label pour sensibiliser les agriculteurs

Soizic Guimier, agronome et chargée d’accompagnement en faveur du développement du label « Bee Friendly », a fait de la mise en valeur de ces points communs son quotidien. Depuis dix ans, la structure pour laquelle elle travaille investit du temps pour créer du lien entre apiculteurs et agriculteurs. Émanation de syndicats d’apiculteurs européens dont l’UNAF pour la France, « Bee Friendly » sensibilise les agriculteurs à l’impact de leurs pratiques sur le monde des insectes.

Soizic Guimier, Label Bee Friendly Alors que le sort des agriculteurs et celui des apiculteurs sont étroitement liés, l’Anercea cultive le terrain de la concertation entre ces deux univers. Ensemble, l’Anercea fait le pari qu’il sera possible de relever le double défi d’une production suffisante, pour répondre aux impératifs économiques, et respectueuse de l’environnement, pour des raisons de durabilité. Journées d'Etude novembre 2023.
Soizic Guimier, chargée d’accompagnement
pour le label « Bee Friendly ».

Cette entrée permet de faire le point sur la liste noire des pesticides à bannir. Effectivement, pour être labellisés « Bee Friendly », les adhérents, essentiellement viticulteurs, arboriculteurs et producteurs de légumes de plein champ, doivent s’engager à abandonner l’utilisation de 28 insecticides identifiés comme dangereux au terme d’un programme de recherche.

« Dans certaines productions, ce n’est pas toujours facile », affirme Soizic, valorisant ainsi l’engagement des 700 adhérents au label. Français, Belges, Espagnols pour l’essentiel, tous, bien entendu, se voient rappeler la réglementation abeilles. Celle-ci a pour ambition de réduire l’exposition des abeilles aux traitements. « Pour ce faire, les traitements de nuit sont largement recommandés sur les cultures attractives », précise Soizic. Sur les 11 000 ha labellisés, « ce n’est pas toujours possible », reconnaît-elle. Pour le moins, la règle inhérente aux horaires – traitement réalisé dans les 2 heures qui précèdent le coucher du soleil et dans les 3 heures qui suivent le coucher du soleil – est respectée.

La montée en compétence pour changer les comportements

Mais parce que l’idée est de fédérer et non pas de réprimer, un volet important de l’action de « Bee Friendly », entreprise reconnue de l’économie sociale et solidaire, porte sur la formation des agriculteurs aux effets positifs de la biodiversité sur leur activité de production. Loin des standards de l’agriculture productiviste des années 70-80, les insectes ne sont plus regardés comme de simples nuisibles. La montée en compétences agroécologiques permet de porter un regard avisé sur les insectes et d’adapter les pratiques afin que ceux-ci deviennent des alliés, des auxiliaires des cultures. Les aides européennes sont des leviers activés par « Bee Friendly » pour encourager leurs adhérents. La plantation de nouvelles haies, véritables corridors agroécologiques, est subventionnée.

Christophe Durand, agriculteur éleveur creusois

Le chemin qui mène à changer son regard, et dans un second temps ses pratiques, est propre à chacun. Christophe Durand, agriculteur-éleveur creusois, tout jeune retraité, a cheminé au gré des influences familiales et des rencontres. « Je me suis installé à la fin des années 70.

Christophe Durand, agriculteur-éleveur creusois, tout jeune retraité. Alors que le sort des agriculteurs et celui des apiculteurs sont étroitement liés, l’Anercea cultive le terrain de la concertation entre ces deux univers. Ensemble, l’Anercea fait le pari qu’il sera possible de relever le double défi d’une production suffisante, pour répondre aux impératifs économiques, et respectueuse de l’environnement, pour des raisons de durabilité. Journées d'Etude novembre 2023.
Christophe Durand, agriculteur-éleveur creusois, tout jeune retraité.

À l’école d’apiculture, j’ai appris à produire pour nourrir la planète. J’ai été un très bon élève », plaisante celui qui, près de 30 ans plus tard, optait pour la conversion à l’agriculture biologique. Influencé par le regard de ses enfants, devenus jeunes adultes, il lui aura fallu dix bonnes années – de 1999 à 2012 – pour que progressivement la SCEA des « Deux Leyrennes » passe d’une

« usine à viande » à une exploitation de polyculture-élevage labellisée « Agriculture Biologique ». La configuration de l’exploitation a été totalement remaniée. « J’ai fait jusqu’à 400 vêlages pour un troupeau de 1 200 bovins. Plus je produisais, plus j’étais un pion dans l’échiquier.

Il faut savoir que dans les abattoirs, quand on parle de viande, on parle de minerai. Autant vous dire que les états d’âme du producteur ont bien peu de poids face à une telle représentation ». Bousculé, Christophe s’ouvre à un nouveau paradigme. Sa situation géographique lui offre des possibilités intéressantes. « Dans le Limousin, la terre est riche et facile à travailler. Il tombe entre 1 000 et 1 300 millimètres de pluie par an. La culture est non seulement possible, mais particulièrement facile ». La diversification des productions est une option. Cent hectares sont conservés en prairies permanentes, le reste est retourné pour accueillir des cultures, et si possible à forte valeur ajoutée (colza, tournesol, épeautre, blé ancien, sarrasin, moutarde porte-graines…). Ce nouveau regard sur les choses amène Christophe à rencontrer de nouveaux partenaires. Parmi ceux-ci, la fédération de la chasse. Par leur intermédiaire, il prend part au programme agrifaune et, par là même, développe son intérêt pour la matière organique. « Dans le sol, elle participe à la fertilité de la matrice », juge Christophe. Le cercle vertueux est enclenché. Matière organique, haie, beauté des paysages… Christophe aujourd’hui parle de symbiose. L’exploitation, tant sur un plan économique que sous l’angle de la durabilité, bénéficie de cette nouvelle orientation. Polyculteur-éleveur, Christophe n’en est pas moins un chef d’entreprise. Tous ses choix ont été observés et analysés à travers le filtre de l’économie. « L’EBE de l’exploitation n’est jamais passé en deçà des 250 000 €. Je ne suis pas là pour enfiler des perles », sourit-il. Alors, quand son centre de gestion, le CERFrance, lui recommande de rencontrer l’un de ses clients apiculteur, certifiant que des synergies sont possibles, Christophe est dubitatif. « Ma vision de votre métier était bien loin de la réalité. Ce que je connaissais de l’apiculture me venait de mon grand-père qui avait trois ruches au fond du jardin. Et puis surtout, je me méfiais, parce que si j’avais déjà vu des ruches près de certains de mes champs, je n’avais jamais vraiment eu l’occasion de discuter avec l’un d’entre vous. Trop rares sont ceux qui viennent voir les propriétaires des champs avant de déposer les ruches à proximité des parcelles cultivées ». Loin des caricatures, de part et d’autre, la rencontre a été très appréciée. En la personne de Thierry Fedon, Christophe a trouvé un allié.

Gilles Simonneaux, paysan installé près de Rennes

Ici promues par deux exploitants qui se sont rencontrés grâce à leurs réseaux, les synergies ou symbioses entre les différentes activités d’un territoire constituent le socle sur lequel Gilles Simonneaux, paysan installé près de Rennes, en bio, depuis 1996, a construit son modèle d’exploitation agricole. Exploitation spécialisée en production laitière à ses débuts, la ferme « Les petits Chapelais » s’est diversifiée à mesure que l’actuel projet collectif, qui réunit une vingtaine de personnes, prenait vie.

Gilles Simonneaux, agriculteur associé de la ferme « Les petits Chapelais » (Ille-et-Vilaine). Alors que le sort des agriculteurs et celui des apiculteurs sont étroitement liés, l’Anercea cultive le terrain de la concertation entre ces deux univers. Ensemble, l’Anercea fait le pari qu’il sera possible de relever le double défi d’une production suffisante, pour répondre aux impératifs économiques, et respectueuse de l’environnement, pour des raisons de durabilité. Journées d'Etude novembre 2023.
Gilles Simonneaux, agriculteur associé de la ferme « Les petits Chapelais » (Ille-et-Vilaine).

Actuellement, l’outil de production se compose de 120 ha, sur lesquels sont produits des céréales et des légumes, d’une meunerie, d’un atelier de fabrication de pain. Les associés travaillent avec une fromagerie locale. Un projet de brasserie est en réflexion, tout comme la possibilité d’accueillir sur l’exploitation des producteurs spécialistes de l’agroforesterie.

Un café-cantine et/ou café citoyen est aussi à l’étude. La ferme qui développe de nombreux projets avec différents partenaires du territoire est juridiquement structurée de manière originale. Pour assurer la pérennité de l’activité, elle doit pouvoir se transmettre facilement. Ainsi, une SCI porte les bâtiments, une EARL porte l’activité production, une Scop porte l’activité boulangerie, une SARL porte le magasin et une SAS permet de gérer l’activité de production d’énergie. Ouverte sur son territoire, la ferme « Les petits Chapelais » cherche un modèle qui, à travers la mutualisation des moyens entre différents acteurs, assure une dynamique. Sur ce projet, Gilles travaille avec l’Agro de Rennes et des enseignants-chercheurs de l’INRAe. Son idée : spécialisé dans son domaine, chaque professionnel mettrait à disposition des autres une partie de son outil et/ou des « aménités » positives. Pour que le système soit durable, ces interactions positives doivent être quantifiées. Avec en main un référentiel, des équilibres pourront être trouvés entre « justesse de service » et « justesse de rentabilité ».

Échanger pour mieux connaître les besoins de chacun

Bien que convaincu qu’elles seraient nombreuses, il est actuellement bien difficile pour Gilles de nommer les interactions positives entre son activité et l’apiculteur. Non pas que le potentiel soit si rare qu’il faille se creuser la tête pour trouver les synergies, mais parce que, tout comme Christophe avant sa rencontre avec Thierry Fedon, il ne connaît pas ce secteur de production. « Je fais du lait. Pour produire, nous avons tendance à couper les prairies et les luzernes dès les premières fleurs. C’est à ce stade que le potentiel laitier est le plus fort. Mais, je suis convaincu que l’on a une intelligence collective à partager. Peut-être serions-nous surpris de constater qu’un décalage de la coupe ne serait pas si pénalisant au regard de ce qu’une plus forte présence des abeilles sur la culture pourrait nous apporter ».

Pour Christophe, le temps des suppositions est révolu. Il a fait l’expérience de la rencontre, des échanges, de la collaboration, et les résultats sont positifs à bien des égards. Après avoir fait le tour de l’exploitation de Christophe « bêche en main », se souvient Thierry, les deux hommes ont compris que bien des points les rassemblaient. D’échanges en discussions, l’un et l’autre ont cheminé et adapté leurs pratiques. L’apiculteur que rien ne prédestinait à poser des ruches chez son voisin céréalier a finalement changé d’avis. « J’ai découvert un agriculteur amoureux des vers de terre et des papillons. Sur ses terrains, il y a des fleurs tout le temps. Sa gestion des prairies est exceptionnelle ».


[…] La suite dans Info-Reines 145, premier trimestre 2024.

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