Colonie hygiénique, tolérance/résistance au varroa, colonies/reines VSH ou SMR… Alors que les propositions commerciales se multiplient, promettant de telles caractéristiques sur les « produits », Info-Reines vous propose de faire le point sur ce que ces termes signifient et sur ce que chacun impose comme méthode de « production ».
Article publié dans Info-Reines n° 146 – deuxième trimestre 2024
Un peu de vocabulaire
Il ne s’agit pas ici de rédiger un article scientifique, pas plus que de décrire de façon détaillée des techniques permettant de sélectionner certains caractères de résistance au varroa ; pour cela le lecteur aura des renvois vers d’autres articles. Il s’agit ici de mettre en perspective ce qui est commercialement proposé, et ce que cela sous-entend comme espoirs pour l’acheteur de reines, avec tous les aléas potentiels encourus.
Colonie hygiénique
Il s’agit d’un comportement : une colonie dont les abeilles (ou plus exactement un nombre suffisant d’abeilles de la colonie) sont capables de reconnaître le couvain malade ou infesté par un agent pathogène et d’éliminer ce couvain malade.
Résistance/tolérance au varroa
La résistance est la capacité pour une colonie de limiter la reproduction du parasite par rapport à la population de la colonie ; alors que la tolérance est la capacité de la colonie de s’adapter pour limiter les dégâts du parasite.
SMR (Suppressed Mite Reproduction ou Suppression de la Reproduction du Varroa)
C’est un critère consistant à mesurer l’inhibition de la reproduction du varroa dans une colonie. Naturellement, 5 à 20 % d’une population de varroas est infertile (Bûchler, 2015). Le comportement SMR des abeilles permettrait d’augmenter ce ratio, peut-être par un mécanisme direct de la larve (par exemple un « signal chimique » qui reste à prouver), et/ou par la détection et l’élimination par les abeilles adultes des cellules infestées.
VSH (Varroa Sensitive Hygiene ou Hygiène Sensible au Varroa)
Il s’agit aussi d’un critère pour mesurer un comportement, appelé comportement VSH, consistant pour les abeilles d’une colonie au nettoyage spécifique des cellules de couvain infestées par le varroa. Après testage, le comportement VSH est exprimé par un taux, le pourcentage VSH. Nous reviendrons plus loin sur la technique de la mesure du taux VSH. Il est important de connaître ce taux. Plus il est élevé, plus la probabilité d’avoir des colonies pour lesquelles un traitement anti-varroa n’est plus indispensable est importante. On pense qu’un taux supérieur à 75% est un seuil pour éviter ce traitement. Le but de la sélection VSH est d’atteindre et dépasser ce taux.
Ne pas confondre SMR et VSH : pour SMR, en plus d’une possible inhibition par la larve, les abeilles nettoient le couvain infesté, comme pour VSH, mais en se focalisant sur les cellules contenant un varroa reproducteur (Fiche Technique ITSAP, janvier 2018).
De l’hérédité à l’héritabilité, en passant par l’épigénétique
Ce qui précède montre bien qu’il s’agit de sélectionner et transmettre des comportements.
La transmission de ces comportements relève de la génétique (c’est l’hérédité), et leur expression de l’épigénétique (environnement, marqueurs chimiques sur l’ADN tels que méthylation, acétylation, phosphorylation… pour n’évoquer que les plus fréquents). On peut se rendre compte du résultat dans le phénotype1 exprimé, sachant que la part de la génétique qui peut être transmise est établie par un coefficient appelé héritabilité. L’héritabilité (notée h2) est une valeur statistique (un coefficient compris entre 0 et 1) qui évalue la part du phénotype qui est due à la génétique. Si un caractère, ou un comportement, a un coefficient d’héritabilité supérieur à 0,25, cela signifie que la part de la génétique a une influence assez importante dans le phénotype. Une héritabilité supérieure à 0,4 est un indice intéressant : la probabilité de transmettre un trait de caractère ou un comportement par une sélection génétique est alors forte et mérite d’être mise en oeuvre dans un plan de sélection. Pour faire comprendre cette notion, voici un exemple : les abeilles sont des insectes qui possèdent six pattes. Le nombre de pattes est génétiquement déterminé ; son héritabilité est nulle (h2 = 0) ; en effet il est très peu probable qu’une abeille ait moins ou plus de six pattes, cela serait dû à une « erreur » génétique : la sélection sur ce critère est inutile !…
Voici quelques exemples de coefficients d’héritabilité2 :
- Production de miel : h2 # 0,4.
- Production de propolis : h2 # 0,7.
- Agressivité : h2 # 0,35.
- Indice cubital : h2 # 0,62.
Attention, ces résultats sont à prendre avec beaucoup de précautions, car très influencés par les méthodes de calcul et l’environnement dans lequel ils ont été effectués.
Ils peuvent donc diverger selon les auteurs ; mais leur ordre de grandeur est une indication.
Hérédité et résistance au varroa
Trois comportements ont été identifiés pour influencer le comportement de résistance au varroa des colonies3 :
- Comportement de toilettage : auto-grooming (capacité de l’abeille de se débarrasser des varroas présents sur elle-même) et allo-grooming (capacité d’une abeille à nettoyer une congénère).
En 2012, cinq gènes avaient été identifiés pour ce comportement. Ce trait aurait une héritabilité de 0,71. - Comportement hygiénique : il intervient en deux étapes. D’abord les abeilles détectent les cellules de couvain infectées par le varroa et enlèvent l’opercule de cire de ces cellules, car elles diffusent plus de phéromones que les cellules de couvain saines ; ensuite elles sortent la pupe infectée par les varroas en phase de reproduction (voir illustration). C’est cette capacité à détecter le couvain infecté que l’on appelle VSH. En 2015, sept gènes avaient été identifiés pour ce comportement. Ce trait aurait une héritabilité de 0,65.
- Inhibition de la reproduction du varroa dans le couvain : il s’agit d’une stratégie de la colonie qui consiste à retarder la ponte des oeufs par la femelle varroa adulte, ou à induire la mort des jeunes varroas formés. Plusieurs gènes ont été identifiés, ainsi qu’un phénomène épigénétique de phosphorylation pour participer à ce comportement. L’héritabilité de ce trait serait de 0,46.
Technique pour établir le coefficient VSH d’une colonie
À partir 1997, des scientifiques américains travaillant pour l’USDA (Département américain chargé de la recherche en agriculture), à l’Université de Baton-Rouge, en Louisiane, aux États-Unis (Harbo, Hoopingarner), puis Spyvack et Harris, en 2007, tentent de sélectionner des colonies d’abeilles résistantes au varroa en repérant celles pour lesquelles le taux de non-reproduction du parasite (naturellement de 20%, rappelons-le) était augmenté. La technique a été importée en Europe par Bartjan Fernhout (Pays-Bas) et Renaud Lavend’Homme (Belgique) en 2013. Des groupes d’apiculteurs se sont formés pour poursuivre dans cette voie ; notons en particulier le groupe Arista Bee Research (ABR), avec sa déclinaison ABR Belgium, en Belgique, qui a effectué, et continue à faire, un important travail de sélection sur ce trait4.
Le principe pratiqué par ABR Belgium4
Le parasite est présent à deux stades de développement dans une colonie :
- Une phase de varroas phorétiques sur les abeilles. On mesure l’infestation par comptage de ces varroas :
- soit par chute naturelle sur un lange graissé, sous un plancher grillagé,
- soit par comptage sur les abeilles en provoquant le décrochage des varroas par diverses méthodes (sucreglace, CO2, lavage dans l’alcool ou produit ménager…).
Dès lors, on établit un taux d’infestation (%), ou mieux, un taux d’accroissement de l’infestation à l’aide de formules mathématiques5.
- Une phase de reproduction dans le couvain. Pendant la saison, 60 % à 80 % des varroas se trouvent dans le couvain. On regarde alors si les varroas y sont présents et s’ils se sont reproduits.
De façon concrète, les reines à tester ont été inséminées soit avec la semence d’un seul mâle (SDI pour Single Drone Insemination), ou de plusieurs mâles (MDI pour Multiple Drones Insemination), et placées dans des colonies en ruchettes miniplus.
Trois semaines après le début de ponte, lorsque les nouvelles abeilles, filles de la reine inséminée, commencent à émerger, pour que le taux d’infestation dans ces colonies de test ne dépende pas de l’environnement et soit suffisant, 150 varroas sont ajoutés artificiellement dans toutes les colonies à tester. Les varroas ont été prélevés sur des colonies dédiées : les « pourvoyeuses de varroas ». Le comptage dans le couvain a lieu treize à quatorze jours plus tard. Ce comptage doit suivre un protocole précis et une méthodologie nécessitant un apprentissage. L’utilisation d’une loupe binoculaire est nécessaire. On vérifie d’abord que le taux d’infestation (au moins 10%) est suffisant dans le jeune couvain (jusqu’au stade de nymphe aux yeux blancs – développement de l’abeille depuis l’operculation – illustration à retrouver dans Info-Reines n°146).
Dans le vieux couvain (au-delà du stade de nymphe aux yeux pourpres/violets), on mesure deux paramètres :
- 1• Le taux d’infestation. Il doit être très inférieur à celui du jeune couvain, car cela signifie que la colonie a éliminé les varroas.
- 2• Le taux de non-reproduction des varroas. Il doit être au moins de 50% dans les cellules qui contiennent encore des varroas.
Dans le couvain intermédiaire (nymphes aux yeux pâles ou roses), on ne tient pas compte des varroas.
Une production commerciale de reines VSH ?
Ce qui est décrit ci-dessus montre l’ampleur du travail à effectuer pour s’assurer de pouvoir attribuer
« l’étiquette VSH » à une reine. Par ailleurs, il n’est pas du tout certain que ce même comportement soit encore validé dans un environnement autre que celui où les tests ont été réalisés, et ce, même si les coefficients d’héritabilité des traits de résistance semblent encourageants.
Les protocoles décrits ici pour des reines inséminées (SDI et MDI) sont, bien sûr, applicables aux reines fécondées naturellement, suite logique et inéluctable à une production importante de « reines VSH ». Mais le mode de reproduction bien particulier de l’abeille (parthénogénèse et polyandrie) et le nombre de gènes impliqués dans ce comportement rendront la production en masse de « reines VSH » difficile. Pour espérer, mais sans certitude, obtenir la présence et l’expression du comportement, il faudrait :
- saturer le site de fécondation de faux-bourdons sélectionnés,
- produire des reines VSH et faire des filles de ces reines qui produiront les mâles du site de fécondation,
- s’assurer que ces reines filles possèdent les caractères souhaités…
Et malgré tout cela, on ne peut être certain que la reine produite – fille d’une reine VSH et fécondée par des mâles issus de reines filles de colonies VSH et testées – soit aussi VSH. Pour le savoir, c’est « simple » (si l’on peut dire…), il convient de dérouler le protocole d’infestation présenté ci-dessus !…
Conclusion
La sélection de reines VSH est un travail très rigoureux et considérable. S’en procurer réellement a donc un coût certain, sans même avoir la certitude du résultat.
Il faut aussi avoir conscience que la sélection sur ce comportement risque aussi d’impacter d’autres caractères importants pour l’apiculteur (récolte, douceur, rusticité…). Il faut donc s’assurer que cette sélection, comme toute autre sélection d’ailleurs, reste compatible avec une apiculture professionnelle économiquement « rentable ». Cependant, les résultats obtenus par les groupes d’apiculteurs qui se sont lancés dans la sélection d’abeilles résistantes au varroa (en particulier VSH) sont encourageants et méritent tout notre soutien. Alors, pourquoi ne pas rejoindre de tels groupes et y participer si le coeur vous en dit ? Pour les apiculteurs tentés par l’achat, il est important de se renseigner sur les techniques utilisées et les protocoles déroulés par les vendeurs qui affirment que leurs reines sont « VSH » ou « résistantes au varroa », afin de limiter les possibles désillusions.
1 – Le phénotype correspond à l’aspect extérieur d’un individu – pour ce qui nous concerne une abeille ou colonie d’abeilles, c’est ce que peut observer l’apiculteur. Il est influencé d’une part par la génétique bien sûr (présence ou non dans le génome du « bon » gène du caractère souhaité ; ou plus exactement du « bon » allèle) ; mais aussi par l’épigénétique et l’environnement pour l’expression de ce caractère : le « bon » allèle peut être présent dans le génome, mais peut s’exprimer plus ou moins fortement ou rester masqué. C’est alors comme s’il était absent.
2 – « Quantitative conservation genetics of wild an managed bees » (Sheina Koffler, Astrid de Matos, Peixoto Kleinert, Rodolfo Jaffé) Spinger Science & Business Media. Dordrecht 2016.
3 – Revue du CARI « Abeilles et Cie » n° 184 p.29 ; 2018 ; (Victoire Miette, Kim Jouffroy, Benoît Muylkens ; Université de Namur).
4 – Article de Sacha d’Hoop et Julien Duwez : LSA (La Santé de l’Abeille), n°320, p. 63 à 75.
5 – Fiche Technique ITSAP : FT_VSH_v2 « Critère de sélection VSH », janvier 2018.
Article publié dans Info-Reines n°146
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