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Équateur. Atelier d'élevage de reines d'abeilles installé sur le toit de la maison de Luis. Photo Yvan Maytain.

« L’amitié apicole porteuse d’un effet hétérosis »

Par Yvan Maytain

Récit : Il y a 12 ans, en provenance de la Suisse, j’ai séjourné durant 4 ans en Équateur, dans un petit village andin perché à 2 800 m au sein de la province du Chimborazo, avec ma compagne, mes deux petites filles et mon fils né en cours de route. Le pays est caractérisé par une grande diversité culturelle avec quatorze nationalités, dix-huit peuples et quatorze langues indigènes issues de huit familles linguistiques différentes.

Des Andes (Sierra) aux contreforts des régions subtropicales jusqu’à la Côte (Costa) et l’Amazonie (Oriente), la diversité géographique, climatique faunistique et végétale de cette république bananière est infinie. Il est le premier pays à reconnaître les droits de la nature au sein de sa constitution. C’est là aussi, aux îles Galápagos, propriété de l’Équateur, que Darwin élabora sa théorie de la sélection naturelle. Apiculteur amateur à cette époque, j’y ai développé une activité apicole en parallèle de mon travail d’anthropologue et construit une trentaine de ruches Warré que j’ai peuplées en récoltant des essaims et par divisions. Chemin faisant, je rencontre Luis, zootechnicien et apiculteur équatorien. Durant 4 ans, nous avons développé ensemble nos connaissances et nourri le rêve de pouvoir un jour devenir professionnels.

Luis et Yvan au rucher à San Juan, situé à 3200 m d'altitude. Le miel est ici marqué par le jaune du pissenlit. Photo Yvan Maytain.
Luis et Yvan au rucher à San Juan, situé à 3200 m d’altitude. Le miel est ici marqué par le jaune du pissenlit. Photo Yvan Maytain.

Le destin ayant ramené ma famille en Suisse, j’ai fait un stage sur deux saisons chez Quentin Wauquiez tout en développant mon cheptel qui est peu à peu parvenu à deux cents colonies hivernées.

L’amitié et la complicité apicole avec Luis perdurent, puisqu’après chaque saison je retourne en Équateur pour y passer l’autre moitié de l’année. De son côté, Luis est également devenu professionnel avec une petite entreprise apicole d’une centaine de ruches. L’année passée, il a séjourné trois mois en Europe, fait des immersions apicoles en France et en Suisse. Il a également participé au dernier stage de Marc Guillemain sur la thermorégulation et ses ruches sont maintenant munies de partitions chaudes qui démontrent toute leur utilité dans la Sierra andine où les amplitudes thermiques moyennes entre nuit (6-7°C) et jour (26-28°C) sont importantes.

Apiculture équatorienne

Apis mellifera1 a été introduite pour la première fois en Équateur par des « frères chrétiens » français en 1870 à Cuenca (Sierra du Sud). L’apiculture s’y est développée de manière informelle et, dans la plupart des cas, elle reste encore très artisanale. À l’instar de ce collègue apiculteur qui possède trois cents ruches depuis 30 ans et n’a jamais administré de traitement contre le varroa, ni nourri ses colonies en période de disette (fréquente dans la Sierra), les ruches se remplissant et se vidant au gré des famines, des essaimages ou des maladies. Il est fréquent d’y rencontrer de la loque européenne (parfois américaine), souvent du couvain plâtré, et bien sûr le varroa. Des remèdes naturels sont parfois appliqués pour lutter contre le varroa (Ambrosia arborescens, Liabum igniarium, tabac, Ruta graveolens). Des antibiotiques peuvent être appliqués par les apiculteurs qui savent reconnaître la loque, parfois les colonies s’en remettent spontanément au moment des récoltes, mais le problème reste souvent persistant.

Équateur. Visite d'un rucher à flanc de falaise à Maria Auxiliadora. La récolte de meil est peut-être pour bientôt. Photo Yvan Maytain.
Visite d’un rucher à flanc de falaise à Maria Auxiliadora. La récolte de miel est peut-être pour bientôt. Photo Yvan Maytain.

L’Équateur compte peu de professionnels, 70 % des apiculteurs possédant moins de dix colonies. En 2018, le Ministère de l’Agriculture, MAG, a recensé 1800 apiculteurs et environ 20 000 colonies, dont 63 % dans la Sierra, 32 % sur la Côte et 5 % en Amazonie. La production moyenne est estimée entre 10 et 15 kg par ruche, mais des apiculteurs dans la province de Pichincha parlent de 35 kg annuels en transhumance. La consommation annuelle de miel, principalement à des fins médicinales, serait de six cents tonnes et la production nationale se chiffrerait à deux cents tonnes. La concurrence est forte avec le miel importé de Chine, d’Argentine ou d’Uruguay, les miels arrivant en contrebande depuis la Colombie, le Pérou. À cela s’ajoute la commercialisation de miels frelatés.

C’est seulement en 2015 que l’État équatorien active le Programme National d’Apiculture (PRONAPIS) dont les prémices avaient été esquissées dès 1974. Un guide des bonnes pratiques apicoles est édité et un Programme Sanitaire Apicole National (AGROCALIDAD) censé

Dans ce processus d’assistance aux producteurs, sous l’impulsion des associations apicoles, le pays a fait partie de la première tournée internationale d’apiculture sud- américaine en 2018. Des conférenciers du Pérou, du Mexique, d’Argentine et d’Australie sont intervenus et ont échangé sur les stratégies et les avancées de l’apiculture professionnelle dans plusieurs villes équatoriennes. Plusieurs tentatives pour former une fédération équatorienne afin d’être représentés à Apimondia ou à FILAPI (Fédération Internationale Latino-Américaine d’Apiculture) n’ont pour l’instant pas abouti.

Une saison en Équateur

Dans la Sierra, l’année apicole est directement liée à l’hygrométrie des sols. Sur la ligne équinoxiale, il n’existe pas de saisonnalités marquées, on distingue cependant des périodes plus sèches et des périodes plus humides propices à la floraison de l’eucalyptus qui représente la ressource principale2. Celui-ci produit des floraisons plus intenses sur environ deux mois lorsque l’hygrométrie est idéale (en période humide, il pleut 2 h le matin, puis s’ensuit un temps ensoleillé et sec le reste de la journée).

Équateur. La présence de grandes quantités de pollen dans certaines zones provoque l'essaimage, même en l'absence de miellée. Photo Yvan Maytain.
La présence de grandes quantités de pollen dans certaines zones provoque l’essaimage, même en l’absence de miellée. Photo Yvan Maytain.

Ainsi, les entrées de nectar s’étalent d’octobre à mai, et culminent généralement entre février et avril avec de plus grandes entrées de nectar et de pollen, ce dernier pouvant parfois même provoquer une rupture de ponte et induire l’essaimage. Les étages supérieurs plus humides sont souvent plus précoces, mais il existe également beaucoup de variabilités locales dues aux divers reliefs qui entraînent une pluviométrie supérieure dans certaines zones, des types de sols à plus grandes rétentions ou des zones plus chaudes où peuvent fleurir l’avocatier et le pois doux (Inga edulis) fortement mellifères. Mais rien n’est jamais clair et précis, il faut souvent faire preuve de patience, le « ya mismo viene » (« tout bientôt ça vient » le nectar) qu’on entend souvent dans la bouche de Luis peut parfois s’étaler sur plusieurs mois dans certains ruchers. Entre les périodes d’entrée de nectar, Luis doit trouver les moments propices pour les traitements contre le varroa (deux traitements à l’amitraze et un traitement aux lanières glycérine/oxalique sur toute l’année) et doit également régulièrement alimenter ses colonies (sirop et galettes protéinées).

Entre décembre et mai, il récolte en moyenne 15 kilos par ruche3. N’ayant pas de véhicule, il doit s’arranger avec des collègues afin de pouvoir rapporter ses hausses dans sa miellerie. Si la miellée est modeste, plusieurs voyages en taxi peuvent parfois faire l’affaire. Dans certains ruchers plus inaccessibles, l’extraction se pratique in situ, son unique extracteur trois cadres est apporté sur place et les bidons de miel doivent être transportés à la main jusqu’à la route la plus proche. Il aimerait acquérir un véhicule qui lui permettrait de transhumer et ainsi de mieux profiter des étages climatiques et des miellées localisées.

La plus grande partie du miel est vendue au détail sur des marchés locaux (600 g pour 8 $), parfois en bidon de 28 kg qui se vend entre 150-185 $ à des revendeurs ou à des collègues apiculteurs. Quand le miel vient à manquer, il peut parfois en acquérir auprès de collègues ayant récolté dans d’autres zones. Il produit également un peu de gelée royale (1,5 $/g), du pollen (20 $/ kg), élabore de la teinture de propolis, et d’autres produits comme des bonbons au miel et gingembre, du nougat dur ou souple, du savon de propolis, des bougies et plus récemment de l’hydromel. Souvent toute la famille est impliquée dans l’élaboration des produits secondaires. Parfois, quand cela est nécessaire, quelques ruches peuplées peuvent être vendues, mais il n’y a pas à proprement parler un commerce d’essaims comme en Europe.

Luis exerce aussi en tant que technicien apicole pour le compte d’autres personnes. Les accords peuvent être divers, dans certains cas une somme de 5 $ par ruche visitée est demandée et dans d’autres cas la récolte se partage avec le propriétaire, ce qui représente tout de même 20 % de ses récoltes. Parfois, lui-même vend le matériel et les essaims à ses clients.
(Techniques et organisation de l’élevage en Équateur ainsi que l’apiculture version équatorienne à découvrir dans Info-Reines 143 – 3e trimestre 2023).


1- Il existe bien sûr également de nombreuses abeilles indigènes du genre Melipona dans les zones tropicales.
2- Selon les zones, le miel d’eucalyptus se teinte d’arômes divers dus à la présence de pissenlit, de trèfle blanc ou d’alfalfa de capulin (Prunus serotina), de mélilot blanc, de chilca (Baccharis latifolia), puchalin (Coursetia dubia). Les apiculteurs de la Costa récoltent, quant à eux, du miel d’avocat, de café, de cacao, de Fernán sánchez (Triplaris cumingiana). Ceux de l’Oriente parlent de miel sylvestre, de chilco (Baccharis chilco).
3- Tous les 3 ou 4 ans, la récolte peut doubler en raison d’une périodicité propre à l’eucalyptus.


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